Mardi 07 Mar 2023

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Transformer l’enseignement par l’écoute

Karen Taylor, PhD., Directrice de l’éducation et de l’Institut de l’Ecolint, Ecole Internationale de Genève

Avez-vous déjà entendu l'expression « écoute pure » (unvarnished listening)? Je ne peux m'empêcher d'y penser depuis notre récente session de Emerging Ethical Minds (l’esprit éthique émergent). Ce module, proposé par l'Institut de l'Ecolint, est conduit par notre fameuse animatrice P4C, Natalie Fletcher, fondatrice de Brila.org. Notre objectif est de réfléchir profondément et collectivement à la manière dont nos conceptions de l'enfance peuvent affecter l'enseignement et les relations entre enfants et adultes. A chaque fois, je sors de ces sessions l'esprit en ébullition, et cela dure des jours. Quel beau cadeau ! 

L'un des éléments très particuliers que Natalie a amené à ce cours est un enregistrement d’entretiens qu’elle a réalisés avec une série d'experts sur la façon de mener les dialogues philosophiques avec les enfants. Notre travail préparatoire a ainsi consisté à écouter ce podcast. Le dernier était une conversation entre Natalie et Jane Mohr Lone de l'Université de Washington. Inspirée par les travaux de Gareth Matthews, Jane Mohr Lone met l'accent sur la notion d'« enfants qui savent » (children as knowers) et nous incite à écouter et prêter l’oreille aux questions des enfants. Nous entendons souvent dire qu'en tant qu'éducateurs, nous devrions travailler sur nos compétences en matière de questionnement - poser aux enfants des questions ouvertes qui suscitent une réflexion profonde et critique plutôt que des questions fermées. Ce dont nous entendons moins parler, c'est de la façon d'écouter les enfants. J’ai été particulièrement frappée par un commentaire dans l’entretien : les enfants soulèvent souvent de grandes questions conceptuelles en classe, mais elles sont négligées ou ignorées parce que nous n'avons (croyons-nous) pas le temps, parce que ce n'est pas prévu dans le plan du cours ou parce que nous ne savons tout simplement pas comment y répondre. 

Cela m'amène à quelques réflexions. La première est que, dans les écoles qui se concentrent sur l'apprentissage basé sur les concepts, le contexte de l'apprentissage pourrait être approfondi s'il est basé sur des questions posées par les enfants eux-mêmes. Pensez, par exemple, à la manière dont les enseignants du primaire peuvent introduire de nouvelles unités d'enquête. En d'autres termes, les concepts universels pourraient être conçus à l'initiative des enfants. Si l'on permet que cela se produise, il y a de fortes chances que les enfants développent leur autonomie et leur capacité d’action, en classe comme à l’extérieur. 

Une autre réflexion concerne la hiérarchisation et la légitimation du savoir. Bien que la dynamique de la classe se soit considérablement modifiée au cours des dernières décennies, il subsiste souvent une hypothèse sous-jacente selon laquelle les adultes détiennent la légitimité de la connaissance. Ce que Mohr Lone et Matthews nous invitent à considérer, c'est que les modes de connaissance des enfants sont non seulement tout aussi légitimes, mais qu’ils peuvent aussi enrichir nos esprits d'adultes ! 

Transformer l'enseignement en écoutant et en prêtant attention aux questions des enfants est une « écoute pure ». Cela signifie ne pas anticiper ce que vous pensez qu'un enfant va dire, mais prendre le temps d'écouter ce qu'il dit réellement, et la manière dont il le dit. Comme le souligne Mohr Lone, on dit souvent aux enfants qu'ils doivent s'écouter les uns les autres, mais on ne leur dit pas souvent qu'ils ont le droit d'être écoutés. 

Il peut être tout aussi transformateur pour les adultes de se rappeler ce qu'ils ont connu lorsqu'ils étaient enfants. Les enfants sont des penseurs et des inventeurs de solutions remarquablement créatifs, dotés d'une « modestie épistémologique », c'est-à-dire d'une conscience des limites de leurs connaissances. Peut-être serait-il bon que nous, adultes, adoptions cette posture.