Mardi 30 mai 2023

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Le défi de la correction des copies

Karen Taylor, Directrice de l’éducation et de l’Institut, Ecole Internationale de Genève

La saison des corrections est de retour. Au cours des trois dernières semaines, l'une de mes activités a consisté à corriger les copies des étudiantes et étudiants d’un module de Master dans le cadre du programme PGCE proposé par l'université de Durham. La volée PGCE (International) de l'Ecolint participe au module consacré à l'enseignement et l'apprentissage dans le programme scolaire (Teaching and Learning in the Curriculum) avec les étudiants de tous les programmes de formation initiale d’enseignant de Durham. 

Le travail principal de ce module est une rédaction de 5’000 mots qui exige d’intégrer trois éléments : (1) le concept d'apprenant qui réussit (the successful learner), (2) la recherche dans un domaine donné, qui (3) doit ensuite être intégrée dans une réflexion sur sa propre pratique d'enseignement. Le travail a été soigneusement affiné au fil du temps, il a été lu par plusieurs enseignant(e)s, et je peux affirmer avec confiance que les objectifs du travail sont clairs et qu'ils servent de base de discussion dans nos groupes de séminaire. Tout va bien, n'est-ce pas ? Pourtant, chaque année, je ressens un malaise et j'aimerais vous faire part de mes réflexions sur ce processus d'évaluation, en espérant qu'elles résonnent en vous. 

Comme d’autres le font, lorsque je lis une copie, je prends des notes en gardant à l'esprit les différentes parties du travail, puis je consulte la grille d'évaluation et j'essaie de placer le travail de l'étudiant(e) dans la zone de notation appropriée. Je rédige ensuite un feedback détaillé. Malgré la grille d'évaluation détaillée, les résultats ne sont pas toujours aussi évidents qu'on pourrait le penser. 

Prenons l'exemple de deux de mes élèves cette année. Tous deux apprennent l'anglais et sont originaires de pays non occidentaux. Ils ont clairement compris les éléments constitutifs du travail à rédiger et ont effectué des lectures approfondies. Ils ont chacun décrit leurs études de cas et fourni des preuves observables de l'apprentissage des élèves, ce qui leur a permis d'intégrer des réflexions sur le développement de leur pratique dans la discussion sur la recherche. Cependant, aucun des deux travaux n'a atteint la note nécessaire (50) pour réussir le module (ils ont toutefois la possibilité de soumettre une version améliorée). Qu’a-t-il manqué ? 

Dans les deux cas, la discussion sur la recherche, en l'occurrence sur l'auto-efficacité, est restée à un niveau descriptif plutôt qu'à un niveau d'évaluation critique, ce qui est une exigence de la dissertation. Chaque étudiant connaissait les concepts clés de la recherche sur l'auto-efficacité et avait consulté de nombreux ouvrages. Cependant, il est clairement demandé aux étudiants d'évaluer cette recherche, d'explorer la valeur et les limites des études spécifiques auxquelles ils se réfèrent. Ces dissertations présentaient les arguments de base des principaux théoriciens, mais ne remettaient pas en question leur méthodologie. Les étudiants connaissaient le sujet, mais la recherche était considérée comme faisant autorité. Bien qu’ils aient été capables de communiquer clairement, certains passages de chaque dissertation pourraient être qualifiés de légèrement maladroits en termes de formulation. Il y avait quelque chose qui n'allait pas. 

Comme les autres enseignantes et enseignants de ce module, je suis d’accord avec les critères de notation. Je demande à mes collègues de lire les dissertations sur lesquelles j'hésite. En fin de compte, je maintiens les notes que j'ai attribuées, mais il y a toujours quelque chose qui me tracasse. Ces étudiants ont-ils été désavantagés par le défi que représente la rédaction d’un travail de niveau Master dans une langue non dominante ? Que pourrions-nous faire à l'avenir pour atténuer cette difficulté ? Les passages maladroits reflètent-ils un manque de compréhension ou d'aptitude à exprimer clairement les nuances de leur réflexion sur la recherche ? Enfin, et c'est peut-être le plus important, leur acceptation de l'autorité de la recherche peut être considérée comme influencée par la culture.

Il existe une série de recherches qui se penchent sur des questions qui relèvent, d'une manière générale, de la sociologie de la connaissance (par exemple S. Costa, F.M. Collyer, C. Montgomery, entre autres). Comment la connaissance est-elle jugée légitime (faisant autorité) ? Est-elle influencée par une dominance dans les discours érudits générés par le Nord global (en soi un terme contesté) ? Je ne peux pas dire honnêtement si ces deux étudiants sont capables ou non d'une évaluation critique. J’imagine qu'ils le sont. Je soupçonne également que le contexte culturel dont ils sont issus valorise davantage la capacité d'un étudiant à démontrer l'assimilation des connaissances (j'ai appris ce que les principaux théoriciens ont dit), plutôt que la remise en question de ces théoriciens. 

Je réfléchis beaucoup à ce que devrait être, selon moi, une pédagogie sensible à la culture et à la langue. Je suppose que dans mes périodes de doute, je me demande si je ne soutiens pas involontairement des relations de pouvoir qui favorisent une pensée hiérarchique sur la recherche en éducation, dominée par une vision occidentale de l'érudition et de la performance des étudiants. C'est un sujet sur lequel je continuerai à m'interroger et à réfléchir dans la mesure du possible dans notre quête d'une pédagogie inclusive.