Jeudi 03 juin 2021

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Principe d'apprentissage N°9: Des environnements affectivement et socialement sains favorisent l’apprentissage.

Par Karen L. Taylor, Directrice de l'Education et de l'Institut d'apprentissage et d'enseignement

J’ai un très net souvenir de ce jour où, alors que je prenais mon repas à la cafétéria, un collègue s’est assis à côté de moi, bouillonnant d’excitation après le cours de calcul avancé qu’il venait d’enseigner.

Pendant que Jon me parlais de son cours, il a griffonné une formule sur une des serviettes en papier qui se trouvaient sur la table. Je dois dire d’emblée que mes compétences en mathématiques sont minimes et certainement pas au point où je pourrais comprendre des équations de calcul d’un niveau avancé. Pourtant, ce fut une conversation tellement incroyable que j’ai gardé cette serviette et que je l’ai quelque part encore, plus de 15 ans après. Ce dont je me souviens le plus de cette conversation, ce sont trois choses : la passion de Jon pour son sujet, le fait qu’il n’arrêtait pas de parler de la beauté et de l’élégance de la formule et, finalement, que ce qui le rendait si enthousiaste était de pouvoir partager avec ses élèves son appréciation esthétique d’une équation. Ces élèves ont eu beaucoup de chance d’avoir Jon comme enseignant. Il est très compétent, enthousiaste, respectueux des élèves de sa classe et collaboratif dans la manière dont il aborde son travail avec eux et sa façon de les guider. 

En 2007, Immordino-Yang & Damasio ont publié un excellent article intitulé « We feel, therefore we learn ». De toute évidence, il y a là une allusion à la célèbre phrase de Descartes « Je pense donc que je suis. » Leur travail révèle quelque chose de profond sur la nature de la pensée et de l’être, sur l’interdépendance entre l’émotion et la cognition, et sur ce que cela pourrait signifier pour notre pratique en classe. Grâce aux avancées en neurosciences, nous en savons maintenant beaucoup plus que par le passé sur l’interaction entre l’émotion et la cognition, le sentiment et la pensée. Pourtant, il faut être prudent. Les neuromythes abondent et les éducateurs doivent faire attention à la validité de la recherche sur laquelle ils peuvent fonder leur pratique en classe. 

Pekrun (2014) identifie quatre types d’émotions académiques : axées sur les résultats, épistémiques, thématiques et sociales. Il peut y avoir des émotions négatives ou positives associées à chacune d’elles. Cependant, il serait trop simpliste de ma part de suggérer que les émotions négatives inhibent l’apprentissage et que les émotions positives le favorisent alors qu’en fait, l’interaction entre elles est plus nuancée et puissante. De plus, les émotions vécues par les élèves en classe ont un effet sur toute une palette de processus cognitifs : autorégulation, mémoire, pensée critique et souple, auto-efficacité et motivation.

Il pourrait être utile de penser à l’influence des émotions sur la cognition en termes d’influences externes et internes. Les influences externes peuvent être liées aux enseignants, aux pairs, à la famille, voire à la société dans son ensemble. En tant qu’enseignants, nous avons un certain contrôle sur le rôle que jouent les émotions dans notre classe. Nous pouvons être comme Jon, dont l’enthousiasme est contagieux. Nous pouvons modéliser nos interactions avec les élèves sur l’équilibre délicat à trouver entre des attentes élevées et le soutien. Nous pouvons utiliser l’humour et le dévoilement de soi (dans les limites du raisonnable) pour entretenir des relations en classe fondées sur l’ouverture et la confiance. Nous pouvons faire preuve de respect envers les différences individuelles de nos élèves. Tout cela contribue à un environnement d’apprentissage sain sur le plan affectif et social. Ce genre de dynamique de classe stimule très probablement « l’effet miroir » auquel les êtres humains se livrent naturellement lorsqu’ils réagissent aux réactions et aux émotions des autres.

Comme je l’ai mentionné plus haut, tout cela est un peu plus compliqué que les simples équations “émotions négatives = mauvaises; émotions positives = bonnes”. Comme nous le savons, un certain niveau de stress peut être motivant; l’excès de stress est débilitant et entrave l’apprentissage (voir le principe d’apprentissage #4). Se sentir d’humeur sombre ou même un peu triste peut contribuer à notre réflexion analytique et méthodique (Newton, 2014). D’autre part, les émotions positives peuvent nous donner un espace de liberté nous permettant de nous engager dans une pensée plus créative parce que nous nous sentons en sécurité et désireux d’expérimenter de nouvelles idées ou des solutions potentielles (Fredrickson, 1991). Il semble que les émotions se trouvant aux deux extrémités du spectre sont susceptibles de nuire à l’apprentissage ou, à tout le moins, de détourner l’attention de l’apprentissage (voir le principe d'apprentissage #3 sur l'attention et le principe d'apprentissage #6 sur la charge cognitive). L’éventail des émotions se situant entre les deux peut être utilisé par les enseignants délibérément pour promouvoir différents types de pensées et peut même être pris en compte dans la planification d’une leçon si nous gérons efficacement « le flux d’effets » (Newton, 2014). Tout comme l’enthousiasme de Jon pour les belles équations mathématiques est contagieux, ainsi le sont toutes nos émotions. Nous pourrions penser à notre utilisation du langage corporel, à la façon dont notre humeur peut avoir un impact sur nos élèves et les ajuster, du mieux que nous le pouvons, en fonction de la leçon ou de l’activité.

Enfin, bien que des différences sur les émotions se font plus sentir au niveau individuel qu’au sein de mêmes groupes d’appartenance, il peut y avoir des différences culturelles qui déterminent quelles émotions il est jugé approprié d’exprimer en public. Comme nous le rappelle le principe d'apprentissage #10, mais aussi relationnel. Lorsque nous créons un climat de classe respectueux des élèves, culturellement adapté, engageant et solidaire, nous façonnons les conditions pour que se mette en place un apprentissage créatif, ciblé, productif et collaboratif.

Eléments à prendre en considération:

  • L’environnement d’apprentissage de ma classe est-il positif, encourageant et tolérant?
  • Est-ce que j’évite de présenter l’information périphérique d’une manière émotionnelle qui détourne l’attention de l’apprentissage?
  • Est-ce que j’encourage les élèves à développer une plus grande auto-efficacité en mettant l’accent sur l’apprentissage et l’évaluation de la maîtrise?
  • Est-ce que je fournis un feedback approprié pour qu’il soit utile et informatif?
  • Les activités que je conçois tiennent-elles compte du rôle de l’émotion? 
  • Dois-je guider les élèves dans leur apprentissage de l’autorégulation des émotions? Dois-je autoréguler les miennes?
  • Mes attentes à l’égard de l’engagement des élèves reposent-elles sur des hypothèses culturelles inconscientes ou qui ne remettent pas en question la façon dont les émotions se manifestent?

Ressources utiles

Lectures suggérées

  • Christophe, V. 1998. 2. Les processus cognitifs dans l’élaboration de l’émotion. In Les Émotions: Tour d’horizon des principales théories. Villeneuve d'Ascq: Presses universitaires du Septentrion. doi:10.4000/books.septentrion.51003
  • Csikszentmihalyi, M. (2009). Flow: The psychology of optimal experience. Harper Row.
  • Fredrickson, B. L. (2001). The role of positive emotions in positive psychology: The broaden-and-build theory of positive emotions. American Psychologist, 56(3), 218-226. doi:10.1037/0003-066x.56.3.218
  • Hinton, C., Miyamoto, K., & Della-Chiesa, B. (2008). Brain Research, Learning and Emotions: Implications for education research, policy and practice1. European Journal of Education, 43(1), 87-103. doi:10.1111/j.1465-3435.2007.00336.x.
  • Immordino-Yang, M. H., & Damasio, A. (2007). We Feel, Therefore We Learn: The Relevance of Affective and Social Neuroscience to Education. Mind, Brain, and Education, 1(1), 3-10. doi:10.1111/j.1751-228x.2007.00004.x
  • Immordino-Yang, M. H., Gardner, H., & Damasio, A. R. (2016). Emotions, learning, and the brain: Exploring the educational implications of affective neuroscience. W.W. Norton et Company.
  • Newton, D. P. (2014). Thinking with feeling: Fostering productive thought in the classroom. Routledge.
  • Pekrun, R. (2014) Emotions and Learning. UNESCO. IBE/2014/ST/EP24. http://www.ibe.unesco.org/en/document/emotions-and-learning-educational-...
  • Sander, D. (2015). Le monde des émotions. Belin.